dimanche 9 février 2014

La dépense publique

La dépense publique est chargée de tous les maux de la société française. Le Medef l'a toujours proclamé. La gauche a souvent agi selon ce présupposé, François Hollande l'a dévoilé de façon claire et nette lors de ses vœux: la dépense publique doit diminuer. Il n'y a pas d'alternative!

L'Etat pille la richesse nationale.

Le nez sur les courbes, sans analyse critique sur les données, il n'y a pas d'alternative: l'Etat dépense trop. Les prélèvements obligatoires deviennent trop lourds. Le France va dans le mur...

Dans le cadre de la préparation du budget 2014, le ministère de l'économie et des finances a publié un rapport important sur la question: rapport sur la dépense publique et son évolution (2Mo). Ce rapport dévoile les origines de l'augmentation des dépenses.

Transferts sociaux et charge de la dette expliquent le principal de l'augmentation des dépenses.

La courbe de la charge de la dette au début des années 1980. En 1973, la loi Pompidou impose à l'Etat de s'adresser au marché financier pour emprunter, l'accès à la banque de France lui est interdit. La banque de France serait une planche à billet qui produirait de la monnaie pour permettre à l'Etat d'opérer sans effort, mais inonderait l'économie en diminuant la valeur de ses actifs.

Quelle soit publique ou privée, une banque ne prête pas l'argent dont elle dispose, mais inscrit le montant de son prêt en actif et en passif de son bilan. A la fin du remboursement, elle a créé le montant des intérêts qu'elle a perçu. Quand elle prêtait à l'Etat, la banque de France ne recevait en rémunération que le montant des frais qu'elle devait supporter. A la quantité de monnaie créée correspondait les frais de gestion. Aujourd'hui, la banque privée conserve la monnaie créée par le crédit qu'elle a fait en valeur ajoutée, que ce soit un crédit à l'Etat, à une personne physique ou à une entreprise. Où est la planche à billets?

L'article 123 du traité de Lisbonne (signé le  : "Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées banques centrales nationales, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédits aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres. L’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite." L’article 123 reprend l’article 104 du traité de Maastricht, également identique à l’article 181 du traité constitutionnel européen.

La courbe des transferts sociaux avec l'apparition du chômage de masse, au milieu des années 1970. C'est justement l'époque où Helmut Schmidt affirme : "Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain" (le théorème de Schmidt). Ce théorème va inspirer toute la politique économique publique et toute la stratégie des entreprises.

D'abord, les entreprises réduisent leur masse salariale par l'individualisation des salaires, l'externalisation et l'utilisation de contrats précaires. Les salaires perdent une dizaine de points de PIB au cours des années 1980. La décennie suivante est consacrée aux réformes sociales - réforme des retraites - et aux exonérations de cotisations patronales - aujourd'hui une trentaine de milliards d'euro chaque année. Depuis le début du siècle, les exonérations fiscales - dès le gouvernement Jospin sous la conduite de Fabius en 2000 - et les aides directes se multiplient.

Avec la présidence Hollande, la charge contre le coût du travail est sonnée, les cotisations pour la famille supprimées, la TVA retrouve les faveurs du gouvernement malgré le changement de majorité. Et la charge contre les dépenses publiques est sonnée. Pourtant il va être difficile de sabrer dans les dépenses. C'est dans les prestations sociales qu'il va falloir tailler. Et elles répondent à de véritables besoins que les salaires ne peuvent plus couvrir.

Un accès plus universel et des services moins chers, voilà l'intérêt de la dépense publique. L'Etat ne prélève pas la richesse, elle la réattribue intelligemment au service de la collectivité. L'exemple de la santé est édifiant.

Comparer les Etats Unis et la France, c'est comparer la dépense privée à la dépense publique. Et la comparaison est favorable à la dépense publique.

Le secteur public dominant en France produit une santé moins chère que celle de l'organisation majoritairement privée des Etats Unis.

L'impôt et la cotisation sociale (plus près des revenus primaires) qui alimentent la dépense publique est la contribution de chacun à l'action collective qui nous permet de vivre ensemble. La comparaison entre dépense privée et dépense publique en matière de santé en montre bien tout l'intérêt.

Le taux de mise en commun de la richesse est un élément important pour permettre une liberté suffisante à l'innovation sociale. Le principe de la progressivité joue aussi pour la société. Sur un plus gros PIB, une part plus élevée consacrée aux dépenses communes n'est pas une aberration.

Le pays peut de mieux en mieux assurer ses dépenses collectives.

La tragédie des communs
Dans son volume "Les mathématiques dans l'économie", le monde est mathématique propose une postface qui porte sur la tragédie des biens communs: le conflit entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectif. En se faisant confiance, deux prisonniers ont toutes les chances de se libérer, mais si chacun joue pour soi, il y aura forcément un perdant.

Chaque éleveur a intérêt à exploiter au maximum le pré communal, mais tous les éleveurs ont intérêt à ne pas épuiser le pré par une exploitation trop intensive. Trois solutions sont possibles:
  • la nationalisation consiste à partager l'usage de la ressource en respectant son renouvellement;
  • la privatisation consiste à partager la ressource et à laisser chacun gérer le renouvellement de sa parcelle;
  • la gestion par les communautés locales en intelligence.
C'est cette intelligence qui fait défaut quand on appelle à réduire la dépense publique alors que les besoins sociaux ne sont pas couverts. C'est cette intelligence qui doit être mobilisée, pas la poursuite de politiques qui ont montré leur échec depuis trente ans. Cette intelligence doit opérer sur le lieu de la création de richesses: l'entreprise. Refonder l'entreprise pour impliquer tous les actifs.

Le débat n'est plus celui du de savoir s'il faut une propriété privée ou une propriété publique des moyens de production. Permettre à des personnes physiques de créer une entreprise pour mener à bien un projet est essentielle au bon fonctionnement de la société. Mais l'entreprise ne doit pas rester à sa seule main.

Blanche Segrestin et Armand Hatchuel ont appelé à "Refonder l'entreprise". Leur appel est un appel à l'émancipation de l'entreprise. Le chef d'entreprise a perdu, depuis les années 1970, sa fonction de grand capitaine au service de son navire. Payé grassement, renvoyé du jour au lendemain sans préavis, il est devenu l'homme de main du capital chargé de créer de la valeur au détriment de la richesse de son entreprise.

Quel est le sens de la propriété qu'exerce le capital sur l'entreprise. Dès sa création, le capital endette l'entreprise qui rembourse les crédits sur la valeur ajoutée produite par le travail. L'investisseur initial n'intervient que comme caution pour l'entreprise qui s'endette. L'entreprise est une personne morale mise en esclavage par la société, simple association de défense des actionnaires.

La troisième voie entre nationalisation et privatisation, la gestion par les communautés locales au sein d'une entreprise centrée sur le projet, pas sur le simple rendement financier prédateur. Le terrain de jeu est celui de l'entreprise, pas celui de l'Etat. La dépense publique n'est qu'un sujet à la mode. Le sujet à traiter est celui de la création de richesse et de sa bonne répartition pour que chacun puisse tirer tous ses moyens de vivre de revenus primaires. La dépense publique est une question qui tombera d'elle-même.

Le 21ème siècle doit éviter la contrainte pour résoudre ses paradoxes d'Olson, il doit éviter les horreurs du 20ème siècle. Mais, pour le vivre ensemble, notre société doit mettre ses citoyens - qui ne sont pas mauvais bougres malgré leur égoïsme - en situation d'agir collectif en intelligence par équilibre de Nash  ou par la pression sociale dans un cercle plus restreint le plus près possible de la création de richesse: l'entreprise doit se démocratiser.