jeudi 22 mars 2012

Compétitivité, le poids du capital

Prenant appui sur des comparaisons entre France et Allemagne, le débat sur la compétitivité est instrumentalisé par le gouvernement et le patronat pour avancer leurs réformes de régression sociale. Les études les plus récentes révèlent une réalité beaucoup moins favorable à leurs thèses.

S'appuyant sur le rapport Coe-Rexecode, le gouvernement a centré sa communication sur la dérive des coûts salariaux comme explication du recul de la compétitivité et de la disparition de l'industrie française: remise en cause des 35 heures, TVA sociale, réforme des retraites, exonérations de cotisations patronales, etc.

Pourtant,  une étude de l'INSEE publiée le 22 février 2012 montre que:
- la France et l'Allemagne sont parmi les pays qui ont le coût horaire le plus élevé,
- la France ne connaît pas de dérapage en matière de coût du travail - c'est l'Allemagne qui a connut une croissance moitié plus faible que les autres,
- le coût salarial est très différentié selon la taille de l'entreprise - il y a une espèce d'externalisation de la baisse des coûts,
- la compétitivité ne dépend pas que des coûts salariaux.

Prélèvements des actionnaires sur France Telecom
Le coût du capital est un facteur explicatif beaucoup plus déterminant. Ce coût a considérablement augmenté durant les dernières années. Intérêts versés aux créanciers et dividendes représentent 34% de la valeur ajoutée en 2010 contre 16% trente ans plus tôt. C'est dans les années 1980 que la conduite des entreprises a été mise au service des actionnaires: "créer de la valeur". Pour ce faire, les rémunérations des patrons d'entreprises ont connu une croissance jugée aujourd'hui indécente, mais dont l'utilité est claire: elle fait des dirigeants des hommes de main et des actionnaires, des commanditaires.

Les dividendes et autres revenus distribués sont parmi les plus élevés de l'Union européenne indique le rapport du CESE consacré à la compétitivité. "L'autofinancement disponible pour les investissements en est diminué d'autant et se situe avec 12,8% de l'EBE (excédent brut d'exploitation) en 2009 parmi les plus bas d'Europe."

L'industrie allemande, plus réticente à cette évolution, produit aujourd'hui près du quart de la valeur ajoutée du pays. Ses vrais avantages résident bien davantage à une attention plus soutenue au développement de son industrie qu'à la compression de ses coûts salariaux.

L'efficacité de la gouvernance des entreprises allemandes est confortée par son système de financement. Les PME alimentent la moitié des investissements privés et réalisent près de 60% du chiffre d'affaires à l'exportation des entreprises allemandes. Elles bénéficient avec les caisses d'épargne (plus de 13000 succursales réparties sur tout le territoire) d'un véritable réseau financier de proximité qui les accompagne dans le long terme. Cette infrastructure financière favorise une montée en gamme de la production qui permet d'affronter les nouvelles donnes de la mondialisation.

Le comportement des entreprises allemandes avec leurs fournisseurs diffèrent aussi de celui des entreprises françaises prisonnière de leur obsession de baisse des coûts. Les entreprises allemandes des relations plus coopératives dans de véritables stratégies de filières qui facilitent encore le mouvement des productions vers les hauts de marché.

La stratégie de baisse des coûts salariaux et fournisseurs menée par le gouvernement et le patronat français construit l'appauvrissement du pays. Sur le marché auquel cette stratégie nous condamne, la réduction des coûts sera toujours insuffisante. Elle expose les entreprises de façon structurelle à la concurrence des pays à bas salaires, en réduit la profitabilité et les enferme dans un cercle vicieux entretenu par la faiblesse persistante de l'effort de recherche de l'industrie française.

Centrer une politique industrielle sur la baisse des coûts salariaux et fournisseurs condamne l'industrie et construit l'appauvrissement du pays. L'étude de l'INSEE explique "l'absence de lien significatif entre le niveau du coût horaire et le taux de charge au sein de l'ex-UE à quinze". Sa décomposition en salaires bruts et cotisations patronales ou autres dépenses varie selon les pays, mais, à niveau de protection sociale comparable, la structure n'influe pas sur le coût global de la main-d'oeuvre. Quand le Danemark finance sa protection sociale par l'impôt, la Suède privilégie la cotisation et le poids des prélèvements obligatoires est équivalent entre les deux pays qui produisent tous deux les PIB par habitant les plus élevés du monde.

Nous ne sommes pas condamnés à la régression, la réalité est favorable aux thèses les plus progressistes. C'est la contre-réforme régressive que nous subissons depuis trente ans qui nous condamne. Une réforme humaniste et progressiste est tout à fait du domaine du possible.

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D'après "France-Allemagne, le débat continue" publié en page 16 de nvo du 9 mars 2012.