mardi 19 février 2013

La crise de l'Europe en France

Quelle compétitivité pour nos entreprises en 2013 ? C'est la question posée par Rennes-Métropole à Patrick Artus ce soir dans le cadre des "Regards économiques" portés par Rennes-Métropole. Dans son intervention, l'orateur a diagnostiqué l'anomalie française qui n'est pas ce qu'en donnent les média.

La crise européenne n'est pas une crise de la dette, mais la crise d'une institution construite sur l'erreur dans laquelle les autorités s'enferment et qui mène la population à la pauvreté. Des pères fondateurs à Jean-Claude Trichet, la croyance qu'une monnaie unique ferait converger les pays est largement répandue. Mais l'Europe est constituée de pays très diversement industrialisés, au nord et au centre de l'Europe jusqu'à 30% du PIB, au sud jusqu'à 7% du PIB.

La spécialisation industrielle de l'Europe

Un pays doit acheter les biens qu'il ne fabrique pas. Si sa production ne lui permet pas d'exporter suffisamment pour couvrir financièrement ses importations, il doit emprunter sur des marchés financiers qui vont renchérir les crédits. Si la monnaie unique fait bien disparaître les risques de changes, mais accentue les déficits. Pour arrêter le mouvement de crise, trois voies se présentent:
  1. Laisser s'appauvrir les pays les plus en difficulté, la pauvreté poussant les populations à l'exode (les Portugais en Angola par exemple).
  2. Quitter l'Euro et prendre le risque du cercle vicieux des dévaluations.
  3. Mettre en place une Union de transfert pour permettre des transferts d'argent public des régions industrielles vers les territoires sans industrie.
Les pays du nord de l'Europe occidentale (pays scandinaves, Angleterre, Allemagne, Italie du nord, etc.) ont une tradition industrielle et une position qui crée un cercle vertueux favorable. Les pays du sud (Italie du sud, Portugal, Grèce) n'ont pas développé une industrie qui leur permette de vendre suffisamment pour alimenter les importations qui leur sont nécessaires.

L'anomalie française

La France a toutes les caractéristiques des pays industriels: une tradition, une qualification de la population élevée, une administration efficace. Mais son commerce extérieur lui donne plutôt un profil de pays du sud. Comment expliquer cette anomalie?

Les salaires français sont du niveau de ceux de l'Allemagne, mais l'industrie française produit à des prix beaucoup plus bas. L'industrie française produit comme les pays du sud au prix des pays du nord. Les débats sur la compétitivité ne pointent que le niveau des salaires, alors que la responsabilité de la gouvernance des entreprises est en cause.

Depuis le début des années 2000, le niveau d'investissement n'a pas évolué. Mais, malgré un bon niveau des profits - ce qui n'est plus vrai, c'est la nature des investissements qui a mal évolué. Cette nature manifeste une stratégie de fixation sur des marchés locaux de productions traditionnelles. Des PME réussissent, mais elles sont en majorité absorbées par de grands groupes qui recherchent leur marché, leur technologie, etc. Les propriétaires des sociétés qui les financent engrangent une plus-value opportuniste et détruisent ainsi l'industrie française. En fait, les pigeons sont des salauds qui profitent de la facilité de la croissance externe adoptée par les groupes.

En fait, les capitaux trouvent des placements trop intéressants par rapport aux rendements produits par l'industrie. La finance investie, mais pas dans des stratégies innovantes et ambitieusement ouvertes au monde.

Les pistes de solution

Le rapport Gallois appelle à rendre des marges aux entreprises. Cet objectif peut porter sur deux paramètres: le prix du travail et le niveau de gamme. Il est très difficile de changer de gamme pour une entreprise. Ce qu'a fait Audi est très rare.
  • Le gouvernement a préféré le Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi (CICE) comme première réponse au besoin de marges. Il faudrait 40 Md€ pour retrouver la situation de l'an 2000, 80 Md€ pour atteindre celle de l'Allemagne.
  • Le Medef a réussi à mobiliser un minimum d'organisations syndicales (CFDT, CFTC, CGC) dans un accord national interprofessionnel (ANI) qui ouvre le levier de la baisse de salaire et de l'augmentation du temps de travail.
  • Le niveau de l'Euro n'explique qu'un tiers de la baisse des marges et se heurte à l'opposition des pays industriels de l'Europe (Allemagne, Pays-Bas, etc.).
  • En matière de politique publique (Etat, collectivités locales), l'éternel débat entre politique de filières (organisation d'un secteur autour d'un champion public) et aide aux entrepreneurs ne semble pas devoir trouver de réponse générale, mais ciblée selon les secteurs.
Pour conclure, le traitement commande la mise en œuvre macro et micro économique.

Lutter contre le cercle vicieux du low cost

L'anomalie française est l'histoire d'un patronat jaloux de ses intérêts égoïstes au détriment de ceux de la communauté nationale. La réaction du gouvernement au mouvement des pigeons - ces financiers qui cherchent à se débarrasser d'une entreprise au plus vite et au plus cher - ne contribue pas à construire l'industrie dont a besoin le pays. Il faut taxer tout ce qui empêche le redressement productif.

Les exonérations de cotisations patronales
Sans remonter au mouvement de baisse de la part des salaires dans le PIB (-10%) initié au début des années 1980, les marges des entreprises ont été alimentées avec les exonérations de charge instaurées depuis le début des années 1990. Ces exonérations ont été financées à 80% par les salariés sur leur salaire net au travers de la CSG et à 10% sur les ressources de leur protection sociale.

Les salariés ont apporté directement près de 450 Md€ depuis le début des années 1990 au financement des marges.

Contrairement à ce qui est répété à longueur de colonnes dans les revues et journaux et à longueur de journées dans les radios et télevisions, les salariés assument un risque énorme en consacrant leur qualification et leur parcours professionnel à leur entreprise. Au contraire, le patronat (les pigeons) s'enrichit sur la disparition de la tradition industrielle du pays. Il est temps de redessiner la gouvernance des entreprises.