mardi 26 février 2013

Un marché unique européen pour les télécoms

Après vingt-cinq années d’effort européen pour mettre en place un marché unique des industries de réseau, il est temps d’interroger un parcours commencé avec le livre blanc produit par la Commission en 1985 visant à compléter le marché unique. L'Institut Jacques Delors, Notre Europe, publie un rapport intitulé "Les bénéfices d'un marché unique des industrie de réseau".

Le rapport se centre sur deux secteurs qui se voient généralement gratifiés d'un bilan positif (les transports aériens et les communications électroniques) et deux qui montrent un rapport bénéfice sur coût "problématique" (l'électricité et le rail).

Pour juger de la qualité de ce rapport, le mieux est de se concentrer sur le secteur que l'on connaît le mieux. Pour moi, c'est le secteur des télécoms. Cela fait plusieurs années qu'un audit soit fait. La faiblesse de l'argumentation des auteurs pour défendre le bilan de la réglementation européenne ne les décourage pas dans une fuite en avant dévastatrice pour les dix prochaines années.

Pour Giacomo Luchetta et Jacques Pelkmans, le succès de l'histoire de la libéralisation du secteur des communications électroniques réside dans l'entrée de nouveaux acteurs: "La libéralisation libère!". Mais le secteur ne constitue toujours pas un marché unique européen. Si l'objectif n'a pas été atteint, qu'en est-il du bénéfice économique? L'analyse porte sur trois indicateurs (pénétration, structure du marché et prix) pour trois sous-secteurs (téléphone fixe, téléphone mobile et accès haut débit internet).

  • Le téléphone mobile atteint une couverture à 100% en 2005-2006 et l'accès haut débit internet avoisine les 70% aujourd'hui dans l'Europe des 27.
  • Si les historiques conservent 56% des parts du marché de la téléphonie, ils ne comptent que 43% de l'accès haut débit et 37% de la téléphonie mobile.
  • Les prix de la téléphonie fixe ont été divisés par trois pour les longues distance, sont restés stables dans le local. Les prix de la téléphonie mobile ont été divisés par deux. Quant à ceux de l'accès internet, les baisses vont de la moitié pour les usages intensifs et haut débit jusqu'à la stabilité pour les plus faibles usages ou débits.
Quand vient la question essentielle, à savoir si les bénéfices économiques sont attribuables à la libéralisation, les auteurs ne peuvent qu'avancer que celle-ci au moins n'a pas eu d'influence négative sur les indicateurs choisis. Les auteurs trouvent tout de même des perdants: les consommateurs à faible revenu, les ouvriers de l'industrie et les investissements pour le futur.
  • La téléphonie fixe est restée un service universel à un prix inférieur pour 97% des européens.
  • Si l'emploi avait été stabilisé autour de 900000 équivalents temps plein (ETP) dans la période 1998-2002, il est descendu entre 100 et 120 mille depuis dans l'Europe des 27. Des données pas très ordonnées, les auteurs déplorent eux-mêmes la pagaille statistique d'Eurostat. Le développement se termine tout de même sur une baisse de 23% ces dix dernières années.
  • Les données produites sur l'investissement ne sont pas plus claires. Ce qui est clair c'est que la part de l'investissement dans les revenus a baissé chez les historiques et est resté basse (moins de 15%) chez les nouveaux entrants.

Le temps de l'aggiornamento


Ce que je retiens de ce rapport c'est que la libéralisation et la concurrence ont permis de mettre en place la concurrence et la multiplication des acteurs, ce qui n'a pas gêné la diffusion des services et produits d'une technologie en plein dynamisme à un prix toujours plus bas - c'est en général caractéristique d'une technologie en plein dynamisme.

Par contre, les consommateurs aux plus bas revenus n'y ont pas gagné grand chose, l'emploi y a beaucoup perdu, en nombre, mais aussi en qualité avec la multiplication des externalisations et l'avenir n'est préparé qu'à coup de deniers publics (2,5 Md€ rien qu'en Bretagne).

Le secteur est constitué de deux sous-secteurs: le réseau et les services. Le réseau nécessite de gros investissements et de grosses économies d'échelles, les services appellent au foisonnement, à la diversité et à la multiplicité des expériences.

Après avoir casser les monopoles nationaux et introduit de nouveaux entrants, la libéralisation a fabriqué une Europe des télécommunications trop morcelée, contrairement aux puissants acteurs américains ou chinois. Il est temps de l'amender. Il est temps de bâtir un grand service public européen offrant un service réseau permettant à tout utilisateur, où qu'il soit, d'accéder aux services les plus riches et à tout fournisseur de vendre ses services sur toute l'Europe. C'est cela le marché unique. Dans le secteur, le marché unique doit s'appuyer sur un service public universel réintégrant l'emploi précarisé produit par la libéralisation.

Un audit est urgent et cet audit doit produire des propositions innovantes et ambitieuses, créatrices de richesses pour tous - un véritable aggiornamento européen.