mercredi 6 mars 2013

Pas de compétitivité sans entreprise


A l'occasion de la parution de son livre, "La France sans ses usines", écrit en collaboration avec Marie-Paule Virard, Patrick Artus a donné un entretien sur Xerfi Canal qui éclaire le débat sur la compétitivité mal engagé en France.

L'appel à une institution "Business Friendly" et l'appel à coopération des entrepreneurs correspond à l'appel à l'intervention des salariés dans la vie de l'entreprise. C'est là que salariés et entreprises manifestent les mêmes intérêts.

Secrétaire du Codespar, le Conseil Economique et Social du Pays et de l'Agglomération Rennaise, je milite pour la mise en place d'un financement local des entreprises construit sur une rémunération fixe et attractive de l'épargne du territoire et sur une gouvernance partagée entre patronat, salariat et politique des fonds.

Il me semble que cet objectif sert la proposition de réindustrialisation portée par Patrick Artus. Collège entreprises et collège salariés doivent ouvrir le chantier.


Pas de compétitivité sans industrie

L'industrie française disparaît depuis vingt ans, de plus en plus vite depuis dix ans. La part de l'industrie dans le PIB est passée de 24% à moins de 14% en dix ans. La raison en est essentiellement un problème de gamme avec la perte d'un quart de marge bénéficiaire depuis la création de l'euro. Cela ne vient pas du coût du travail. Quand l'Euro est monté et quand le prix des matières premières a augmenté, les Français n'ont pas pu augmenter leurs prix. L'industrie française ne maîtrise pas ses prix.

Alors que les Allemands ont mobilisé la main d'œuvre qualifiée d'Europe centrale et ont intégré toute la chaîne de valeur, les Français ont externalisé leur production et visé la baisse des prix. L'Allemagne a rendu moins cher le haut de gamme. La France a misé sur le low cost en externalisant ses usines et s'est placée en concurrence avec les pays émergents avec des salaires très supérieurs.

Pourquoi la France de produit pas de grosses PME exportatrices? L'Allemagne a un avantage coût - il faut prendre le coût global, industrie et services - et le problème est mal posé en France en pointant le coût du travail dans l'industrie. Les multinationales françaises délocalisent leur production. Et 17% des PME qui réussissent, arrivées au seuil de 250 salariés, sont absorbées dans un grand groupe chaque année. La PME achetée semble se dissoudre, sa technologie disparaît. C'est ainsi que la France dispose de trois fois moins d'entreprises exportatrices de produits compliqués que l'Allemagne et l'écart s'élargit.

"Plus de gens créent des entreprises en France qu'aux Etats-Unis." Mais arrivées à maturation, les entreprises qui réussissent sont vendues en premier lieu à cause des institutions, en particulier les relations de sous-traitances où les grands groupes considèrent que "le seul rapport qu'ils ont avec leur sous-traitance est le prix [...] quitte à les contraindre eux-mêmes à délocaliser [...]".

Ce qui fait le succès de l'Allemagne c'est l'environnement coopératif qu'elle sait entretenir avec des grands groupes qui protègent leurs sous-traitants, avec des syndicats et des patronats qui négocient. Les PME en France souffrent de subir des partenaires hostiles: grands groupes, administrations, banquiers, syndicats. Dès que son entreprise est vendable, un patron va la vendre et la faire disparaître par dissolution dans le grand groupe.

Patrick Artus pointe le poids des charges sociales. Mais il met en avant l'amélioration des relations de l'entreprise avec les partenaires. Les Etats-Unis ont mis en place une administration dédiée aux PME, business friendly par construction.

L'idéologie occidentale, jusqu'à Obama aux Etats-Unis, affirmait: "Nouvelles technologies et services en occident, industrie en Chine". "C'est un modèle totalement erroné":

  • les nouvelles technologies ne créent jamais assez d'emplois;
  • l'industrie traditionnelle descend alors en gamme et ne maîtrise plus ses prix;
  • des emplois de qualité sont créés dans les grands groupes et des emplois de services, précaires et mal payés à la périphérie;
  • la classe moyenne de l'industrie disparaît.

"On fait tous, tous les biens, mais à des niveaux de gamme différents." Ce qui fait la différence entre les Allemands et les Français, c'est que les Allemands sont en plus haut de gamme pour tous les produits sur toutes les destinations du commerce international.

La mondialisation actuelle est une segmentation des processus de production. Un bien est fabriqué dans plusieurs pays. Cela condamne toute politique de protection qui reviendrait à défavoriser son propre processus de production. La chaîne de valeur a été segmentée au niveau mondial. Ce n'est plus possible de revenir en arrière. Et, avec l'avancement des économies émergentes, les coûts de productions commencent à s'égaliser. "Délocaliser en Chine maintenant n'est certainement pas une bonne idée. [...] Dans cinq ans le débat sur la Chine sera terminé."

Pour réindustrialiser la France, il ne faut pas chercher à faire revenir l'industrie partie. Les Suédois ont réussi leur réindustrialisation depuis les années 1990. Cela s'est fait sur de nouvelles technologies, pas avec de la sidérurgie pas chère. Plus que la baisse des salaires, ce qui est important c'est du soutien intelligent de l'Etat sur la fabrication de nouvelles industries.

Les énergies renouvelables sont probablement le secteur le plus prometteur pour développer un tissu industriel nouveau en France. Encore faut-il développer un marché intérieur important: comme les Suisses et les Allemands d'abord avec la réglementation. En France, la baisse du prix d'achat de l'électricité est bien trop prématurée.

Où doit-on investir pour développer cette nouvelle industrie construite en grands réseaux de PME avec de nouveaux produits en appui sur un grand marché intérieur?

Pas d'industrie sans investissement de tous

La gouvernance des entreprises renvoie constamment à un débat du vingtième siècle opposant les tenants de la loi du marché aux collectivistes. Blanche Segrestin et Armand Hatchuel ont montré comment l'évolution de l'entreprise fabrique l'opposition inéluctable entre les actionnaires et le collectif de travail. Dans leur livre, Refonder l'entreprise, les auteurs font une proposition pour résoudre le problème qu'ils ont mis en évidence. Le Parlement doit se saisir de ce chantier qui touche à la subordination de l'actionnaire et du salarié au projet industriel.

La veille concurrentielle du Codespar est pilotée par Hervé Lejeune (Medef) et moi-même (CGT). Lors de la dernière séance, Marc Potel nous a expliqué l'action de la Caisse d'Epargne en matière de Responsabilité Sociétale d'Entreprise. Le développement de cette action pointe exactement le financement de la nouvelle industrie dont parle Patrick Artus.

Il ne reste plus qu'à faire.