dimanche 12 janvier 2014

La richesse plutôt que la valeur

Les plans sociaux se sont multipliés. Le déficit commercial devient important. L’Etat est fortement endetté. Le trou de la sécurité sociale s’agrandit. La fronde des bonnets rouges contre la tva succède à celle des pigeons contre la taxation des plus-values sur la vente des entreprises. Libéré par la bienveillance du gouvernement, Pierre Gattaz devient de plus en plus revendicatif : il demande maintenant 100Md€ de basse des charges pour créer un million d’emplois.
2013 s’achève sans que la courbe du chômage s’inverser comme l’a promis le Président de la République.

François Hollande n’a qu’un objectif (vœux 2014) : l’emploi. Il confirme ses choix pour le pays et décrète le pacte de responsabilité : moins de charges sur les entreprises, moins de contraintes sur leurs activités contre plus d’embauches et plus de dialogue social. Et pour réaliser ce plan, il veut :

  • réduire la dépense publique – réduire les déficits et réduire les impôts ;
  • simplifier la vie de chacun – simplifier les démarches de la vie quotidienne, de la création d’entreprise, du développement de l’investissement ;
  • permettre à la France d’accomplir sa transition énergétique – faire des économies d’énergie, rénover les logements, lutter contre le réchauffement climatique, soutenir l’artisanat et accompagner la nouvelle industrie qui émerge grâce à cette transition.

La logique voudrait que la politique économique qui a conduit à cette situation soit corrigée.

Le remède infligé à la société est la cause du mal.

En 1973, la loi Pompidou interdit à l’Etat de se financer quasi gratuitement (au prix des coûts de gestion) à la Banque de France et lui impose de s’adresser aux banques privées au prix du marché.

En 1982, le gouvernement Mauroy bloque les salaires. La fonction publique voit ses salaires évoluer en masse et non plus en niveau.

De 1984 à 1992, le nombre d’entreprises où l’évolution des salaires est individualisée passe du tiers à plus de la moitié.

En 1992 commence l’exonération des cotisations patronales qui atteignent aujourd’hui 30Md€ par an. La CSG est créée pour combler ce défaut de financement de la sécurité sociale. Elle est alimentée à 90% par les salariés. Ce sont les salariés qui financent les cotisations patronales.

En 1993, le calcul des pensions est modifié pour les diminuer.

En 2003, le nombre de trimestre nécessaires aux fonctionnaires pour prendre leur retraite est augmenté.

En 2010, l’âge légal de la retraite est reculée jetant les seniors dans le chômage sans faciliter l’entrée des jeunes dans l’emploi.

Le dernier quart du vingtième siècle a consacré ses politiques économiques à libérer de toute contrainte la circulation du capital et à autoriser les inventions financières les plus folles.

Toutes les équipes gouvernementales conduisent une politique économique qui vise à priver les salariés (plus de 90% de la population active) des fruits de leur travail (la valeur ajoutée des entreprises) au nom de l’emploi d’abord (partager le travail), de la compétitivité des entreprises réduite au coût du travail).

« Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. » (H. Schmidt, 1974) Ce théorème a inspiré toutes les politiques économiques depuis le début  des années 1980. Elles ont bien produit les profits attendus, mais pas les investissements, donc pas les emplois.

Depuis 1978, les dividendes ont été multipliés par 36 (de 6,9Md€ à 247,6Md€) alors que la masse salariale n’a été augmentée que par 4,5 soit huit fois moins.

La courbe de l’investissement est passée au dessous de celle des dividendes en 2003, la seconde affichant 50Md€ de plus que la première, soit 25% de plus. Les profits ne sont pas l’investissement.

Orange a versé trois fois le montant de ses bénéfices 2012 et distribué en dix ans ce que coûterait le câblage en fibre optique de la France entière. Les investissements que cette distribution a empêchés doivent maintenant être financés en grande partie par l’impôt.

Privilégier la richesse à la valeur est la solution.

La CGT propose les moyens de sortir du cercle vicieux :


Travail et capital sont nécessaires à l’entreprise pour créer la richesse. Le travail produit la valeur ajoutée, le capital produit de l’investissement.

Autant le produit du travail est clairement affiché dans le compte d’exploitation (2,5 fois la masse salariale chez Orange), autant celui du capital est tabou.

La production de l’entreprise est consommée par les personnes et les entreprises du monde réel. Elle alimente l’économie réelle qui organise la circulation de la richesse produite.

Le financement des entreprises est produit dans le monde de l’économie financière sur la base de la valeur sensée représenter la richesse que l’entreprise produit. Mais l’innovation en matière de finances a été telle que la valeur des entreprises sur les marchés financiers n’a plus grand lien avec la richesse qu’elles produisent. Ainsi, Orange pèse 90Md€ selon son bilan et la société Orange (association de défense des actionnaires) ne vaut pas 20Md€.

Pour bien comprendre le divorce qu’il y a entre les deux mondes de l’économie et le danger de privilégier la valeur à la richesse, il faut revenir aux années 2000 et à l’explosion d’internet. A l’époque, les grands opérateurs cherchaient à prendre la plus grande part de marché dans l’accès. Pour donner de la valeur à leur entreprise, les ancêtres des pigeons ont alors baissé leur prix jusqu’à vendre moins cher que leur coût pour étendre leur marché. Les grands groupes ne recherchant que cette part de marché ont acheté alors un bon prix des entreprises qui perdaient de l’argent.

Les salaires alimentent les marchés des entreprises dans l’économie réelle. Pour la CGT, ils doivent rémunérer la qualification. Aussi, un salaire minimum interprofessionnel qualifié doit s’imposer suivant la qualification courante du salarié : de 1700€ brut par mois pour recruter un salarié sans qualification à 3910€ brut par mois pour recruter le titulaire d’un doctorat. Bien sûr, la formation tout au long de la vie permet d’enrichir sa qualification et de passer d’un SMIQ à l’autre. D’autre part, sans évolution de qualification, le salaire devrait doubler en 20 ans. Ces droits individuels, attachés à la personne, sont collectivement garants.

Les emplois souffrent plus des choix stratégiques que du coût du travail – le rapport Gallois lui-même l’admet. Le Président de la République assortit son pacte de responsabilité de contreparties en matière de participation des salariés. Mais entre les exonérations de cotisations patronales et les aides de l’Etat massivement financées par les salariés, c’est bien d’un pouvoir de propriété de l’entreprise qu’il faut viser.

Les conditions de travail sont essentielles pour le bien-être des salariés. Les interventions ergonomiques en matière de risques psycho-sociaux montrent qu’un principe de subsidiarité doit présider dans le management des équipes de manière à permettre au travailleur de faire face à l’aléa forcément présent dans le travail. Cela interdit tout Lean Management.

La protection sociale (santé, famille, formation initiale adulte et parcours professionnel, retraite et dépendance) est universelle, de haut niveau et bâtie sur l’activité. Sa gouvernance est produite au sein d’instances élues par un corps électoral réunissant tous les actifs.

Le service public est l’expression du vivre ensemble et produit la liberté, l’égalité et la fraternité de la République. La réappropriation publique du secteur public privatisé dans le dernier quart du vingtième siècle est le moyen de renforcer l’égalité et la fraternité. Sa couverture publique produit en France une santé moins dépensière et moins inégalitaire qu’aux Etats-Unis par exemple. La dépense publique n’est pas un prélèvement de richesses, mais une meilleure répartition des moyens consacrés au bien public.

Le syndicalisme est l’outil de mise en œuvre de la solution.

En ouvrant le débat sur le « coût du capital » pour répartir autrement la richesse produite, la CGT veut rétablir la vérité et démontrer que ce qui coûte ce n’est pas le travail, c’est le capital.

Pour rompre le cercle vicieux, l’unité la plus large est nécessaire.

Le capital a confisqué les entreprises sur le marché des valeurs au détriment des richesses produites par le travail. Les salariés peuvent replacer l’économie dans le monde réel du travail.

Agir maintenant, le 6 février, c’est protéger la société des violences que pourraient engendrer l’invivable produit depuis cinq ans. Le syndicalisme, la CGT, c’est le moyen de construire un monde durable, vivable et d’éviter les débordements incontrôlables - c'est le risque Louis XVI de la stratégie de François Hollande.

Portons ensemble nos exigences en matière de salaires, d’emplois, de conditions de travail, de protection sociale, de service public, le 6 février 2014.